Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le portefeuille

Inde, 2011

     Depuis quelques mois, en Inde, je partage la vie d’une communauté, basée sur la recherche spirituelle. Apprenant à les connaître d’années en années, ces indiens nés pour la plupart dans la communauté, se révèlent les êtres les plus corrompus que je connaisse. Derrière cela, se cache une avidité matérielle incroyable. On est bien loin de l’image d’Epinal qu’on leur prête en Europe. Mon lieu de vie est devenu particulièrement lourd à vivre et quelques hôtes de passage ont écourté leur séjour.

     Cependant il y a parmi les natifs, l’un d’eux qui, aux dires des autres, échappe à cette corruption : mon loueur de vélo. C’était un être bon qui attire la sympathie. Je l’aime particulièrement, lui qui me laisse espérer en l’humanité. Le hasard me rend témoin d’une scène où toute ma confiance est ébranlée : cet être pur se révèle corrompu, à un niveau moindre cependant, mais corrompu quand-même. Ce n’est qu’un coquin comme les autres, petit coquin certes sympathique, mais coquin quand-même.

     Comme chaque jour, je me rends en vélo à la cathédrale de Pondichéry pour rendre culte au Dieu Eternel. Chemin faisant, je m’arrête pour acheter des petits sachets de lessive individuels, que j’utiliserai lors de mes déplacements dans quelques jours. J’en demande dix et présente un billet de vingt roupies. Le vendeur me tend deux séries que je plonge dans mon sac de toile accroché au guidon. Une fois face à l’édifice religieux, je gare mon vélo. Alors que j’ôte mon sac de toile du guidon, mes sachets de lessive tombent à terre. Les ramassant, j’en compte neuf : un lot de cinq, un lot de quatre !

-Ce n’est pas vrai ! Me dis-je à moi-même, cette corruption est un véritable fléau en Inde. Pas un n’y échappe !

     A genoux dans l’église, j’offre ma colère, ma rancœur au Seigneur. J’essaye d’engager un dialogue :

-Dis-moi, Seigneur, pourquoi y-a-t-il autant de corruption en Inde ?

    Cette fois, point de réponse. J’émets d’autres questions, d’autres pensées, mais rien. Je sais la Présence en moi, mais le contact ne se fait point.  Sans doute, ne suis-je pas en état suffisant d'attention !

     Puis je reprends mon vélo. Quelques mètres plus loin, la route est encombrée. Je tourne à droite et prends à gauche une ruelle parallèle. Tranquillement dans une semi-obscurité, je regagne le rond-point menant à la sortie de la ville. Une fois le feu au vert, je m’engage sur la route du retour. C’est un moment que j’adore : être pris au milieu des véhicules vrombissant désireux de se dégager au plus vite ; une voiture ou deux, quelques rickshaws, et, outre les vélos sans lumière, de nombreuses motos pétaradantes. Et dans les secondes qui suivent, arrive toujours un moment magique, la sensation d’être porté par un flot continu d’êtres légers en mouvement. Cette sensation est particulièrement forte quand la nuit est tombée. Et comme à chaque fois, la joie d’être un dans un tout en mouvement me remplit le cœur. Comme emporté, je pédale un peu plus vite, malgré l’absence de lumière au vélo. Puis, quelques centaines de mètres plus loin, nous, cyclistes, nous nous retrouvons abandonnés et reprenons notre lancinant chemin.

     C’est alors que la sensation de légèreté apparaît dans ma poche gauche sur le devant. J’y pose la main. Mon portefeuille a disparu. Affolé, je m’arrête et ouvre mon sac de toile. De la lessive, rien d’autre ! Aïe ! Aïe ! Aïe ! Me dis-je. Le vélo à la main je refais le parcours à contresens. Je jette les yeux à terre, regarde les mains des piétons arrêtés sur le côté au cas où… mais rien. Je repars à la cathédrale et refais le chemin emprunté lentement. Rien. Au feu rouge du rond-point, le vélo arrêté, je commence à me rendre compte de l’ampleur du désastre : outre une somme rondelette de roupies et plusieurs centaines d’euros, se trouve ma carte de crédit ! Perdre l’argent liquide n’est pas très grave, mais le petit rectangle de plastique ! J’imagine déjà toutes les péripéties, toutes les attentes vis-à-vis des banques et du temps que cela va me prendre. Le feu au vert, je pédale avec force et me retrouve de nouveau porté par le flux des véhicules. Le bien-être s’empare de moi et chasse les mauvaises pensées. Alors je me dis :

-Non, je refuse de m’en faire et fais confiance à la sainte providence divine.

     Afin d’essayer de connaître l’endroit où mon portefeuille se trouve, je fais dans ma boite crânienne un rétrécissement de mes pensées de l’extérieur vers l’intérieur, et dans le vide, le silence, j’interroge. Non, pour l’instant il n’y a rien d’alarmant. Alors, m’adressant à la sainte providence, je demande protection pour mon portefeuille perdu. Profitant d’une légère attente de la réponse, j’ajoute :

-S’il vous plait, que rien ne soit perdu afin que je retrouve le tout intact.

Cette fois, quelque chose d’invisible m’emplit : la confiance ! Et je sais que c’est fait. Content, je pédale dans le noir, oublieux de ce qui aurait pu devenir un souci.

     Une demi-heure plus tard, je gare mon vélo devant la salle à manger de la communauté. Ils sont à table. A peine j’en franchis le seuil, qu’un des hôtes m’interpelle :

-Tout ce que tu as perdu a été retrouvé. Tout ! Absolument tout ! J’ai un numéro de téléphone à te donner.

     Le lendemain, je me rends chez un commerçant qui se trouve dans la rue parallèle empruntée la veille. Il vient à ma rencontre.

-Venez-vous asseoir, me dit-il en anglais, vous êtes G..., n’est-ce pas ?

J'opine de la tête en m’asseyant. Il me rend le portefeuille :

- Je crois que tout y est, ajoute-t-il.

Remerciant, je vérifie. Il ne manque absolument rien. Je sors un gros billet en euros que je lui tends. Il refuse.

- Non, me dit-il, vous ne me devez rien. C’est une chose naturelle.

Comme j’insiste, il ajoute :

- C’est ma femme qui l’a trouvé hier soir en rentrant du travail.

-Si vous ne le prenez pas pour vous, prenez le pour vos enfants.

- Non, pas question.

Mais je ne peux partir comme ça. J’achète quelques vêtements dans sa boutique. Dès le lendemain, tout à ma joie, j’offre un magnifique sari à sa femme. Mon cadeau lui plait.

Une fois chez moi, j’entame une conversation avec le Seigneur pour le remercier de nouveau.

-Rappelle-toi, me dit-Il. Je t’ai déjà dit de ne pas résumer une personne à un seul acte. De même, ne résume pas un pays à quelques personnes.

-J'ai compris la leçon, Lui dis-je, et je Te remercie.

     Rentré en France, je tombe sur un article de journal. Une association a essaimé volontairement dans quelques grandes villes du monde, dix portefeuilles contenant de l’argent local en quantité, additionné d’euros ou de dollars. Les citoyens les plus probes, qui ont rapporté sept portefeuilles sur dix, étaient de Bombay, gigantesque métropole indienne. Dans la queue du peloton, se trouvaient les villes occidentales, notamment Paris ! L’espace d’un instant, je me demande si ce n’est pas le Seigneur qui a écrit cet article à mon intention !

 

----------

 

Que dis-tu de toi-même ?

     Assis dans un café, je réfléchissais, un demi de bière à la main. Non loin de moi, trois clients discutaient avec le patron, debout derrière le bar. Vêtu de noir, élégant malgré un énorme tour de taille, ce dernier écoutait ses trois amis discourir. Je levai la tête quand je vis l'un des hommes venir dans ma direction. Il se saisit d'une grande enveloppe, sans doute oubliée sur une chaise derrière moi. Je reconnus le papier dans lequel on mettait en général des radiographies.

-Vous êtes médecin ? me demanda t-il. Cependant le ton employé était davantage celui d'une affirmation que d'une interrogation.

J'éclatai de rire en le regardant par dessus mes lunettes.

-Non, pas du tout.

Nullement intimidé, il reprit:

-Vous êtes avocat ?

Lui souriant, je déniai:

-Non plus!

Tenace, il poursuivit:

-Alors, vous êtes dans la politique ?

Je commençai à le trouver envahissant. Je tâchai de ne plus rire, ni même de sourire en lui donnant ma réponse.

-Désolé, toujours pas!

Alors que j'espérais qu'il me laisserait tranquille, il laissa tomber une sentence.

-Alors vous avez raté votre vie!

Tandis que j'essayais d'accuser le coup, il fit glisser la grande enveloppe sous son aisselle et rejoignit ses amis devant le bar.

     Je m'interrogeai sur cette agression. Après mon refus de voir ses radios, mon rire avait sans doute déclenché son agressivité. Sensible, j'avalai ma bière et sortis. J’eus beau marcher pour me détendre, je sentais s’ancrer en moi une obsession. Pas question de m’y laisser prendre. Avais-je  eu à faire à un clairvoyant ?

 

     Quarante ans plus tard, j’entrai dans le troisième âge. Je m’étais débarrassé de tous mes contingents, les miens et ceux des autres. En acquérant une totale liberté, mon âme avait acquis sa véritable force. Cet homme rencontré dans ce bar était bien un voyant, peut-être ne le savait-il pas lui-même  ! Envoyé par mon guide, il m’avait éclairé sur les désirs de mon âme, mais je n’avais su l’entendre. Le bon avocat était un homme de Justice. Un bon médecin était homme de compassion. Le chef politique devait posséder la prudence, le discernement.

-Avocat ? Certes non, je croyais à l’époque n’en n’avoir ni la capacité, ni le talent. Pour œuvrer avec la justice des hommes, il fallait savoir faire des concessions, accepter des compromis, voire même des fourberies. Cela je n’en étais pas capable.

-Médecin ? Je n’avais jamais été intéressé par cette profession. A la rigueur, les guérisons dites miraculeuses alors que la médecine décrétait que le malade était condamné, m’intriguaient. J’avais toujours pensé qu’il devait y avoir un moyen non point de contrôler cette force, mais de l’appeler et de l'utiliser.

-Homme politique ? Ce monde où régnaient la corruption, l’avidité, la domination, était loin de ma manière de vivre. C’est alors que me revinrent en tête les paroles d’un curé de brève rencontre: -il n’y a pas de plus grand amour des hommes que l’engagement politique !

     Je n’étais pas devenu avocat, mais habité par la justice divine, je remettais de l’ordre là il n’y en avait plus. Je n’étais pas médecin, mais homme de compassion. J’appelais simplement les forces de guérison, et elles agissaient. Je leur faisais toujours part de ma gratitude. Je ne faisais pas de politique mais avais acquis un certain discernement. J'étais capable grâce au pouvoir de la foi, d'englober toute une action de son début, son milieu et de sa fin, en une seconde, et j'avais le don d'éveiller des vocations. Je savais posséder cela. A peine eus-je terminé ma réflexion que l’on me dit :

-Que dis-tu de toi-même ?

Que dire de moi-même ? Celui qui m’interrogeait était celui qui m’habitait. Lui savait qui j’étais, il connaissait mon passé dans le Réel, mon présent et mon devenir qui ne faisaient qu’un. Pourquoi une telle question ? Je savais que mon travail ne faisait que commencer. Le pouvoir de remettre de l’ordre en autrui et en moi-même était le premier don qui m’avait été attribué. C’était si simple. Mais c’est en acquérant l’obéissance totale et sincère à Dieu que j'avais fait un grand pas en avant. La justice divine était devenue mon alliée. Comme tout un chacun, je me décentrais régulièrement. La pose des mains sur autrui, la Compassion, la force des vocations me recentraient en Dieu, en Christ. J’avais recouvré nombre des puissances de mon âme. J’étais heureux car j’avais des raisons pour vivre ou pour mourir à tout moment. Je m’étais trouvé face à face à un être bleu, qui aussi m'habitait. Mais la question que me posait celui qui demeurait en moi semblait attendre une réponse plus profonde : étais-je cet être bleu, issu de l'intelligence divine, qui était capable d'être en dehors ou en dedans de moi, l’ami des Pléiades,  et qui m’avait fait don de la certitude de l’Espérance ? Très tôt, il m’avait été montré que tout ce que mes yeux voyaient à l’extérieur, était en fait contenu, englobé, dans la partie invisible de celui que j'étais. Je savais que j’avais le pouvoir de sortir de moi-même. Etrangement mon mental, façonné, admettait cela. Je pouvais être au dedans de moi mais aussi à l'extérieur !

     La lumière blanche était apparue à la base de mon cervelet, puis de jour en jour, était remontée comme une demie couronne jusqu'à la partie gauche du front, celle reliée à l'intellect. Elle disparut quelque temps pour apparaître de nouveau sur la partie droite de mon front, et de lumière en lumière, était descendue face au cervelet. Puis une nuit, alors que j'avais la tête sous le drap, je fus réveillé par une luminosité dont je ne voyais pas l'origine. Il me fallut plusieurs secondes pour comprendre et admettre qu'elle sortait de mon visage. La lumière que projetait ma face la nuit me réveillait quelquefois. Puis de mon plexus solaire, ce fut un véritable faisceau lumineux, semblable à celui d'une torche, qui fut projeté. Durant ces moments nocturnes, mon mental, qui observait, submergé et conquis par la douceur, ne jugeait pas ce dont il était témoin, mais attendait confiant sans trop savoir quoi. C’était une attente heureuse, toute simple, prête à se déverser sous forme de gratitude. Oui je connaissais la réponse à la question - Que dis-tu de toi-même ? J’étais un être simple empli de gratitude. C’était ma réalité, ma force d’âme. Toute ma vie terrestre se résumait à ses trois mots : être de gratitude.

 

----------

 

Le don fait aux femmes

     Dans le jardin, caché par un bouton fraîchement éclos duquel s’échappait un doux parfum, se tenait un Ange issu de quelques minutes, habillé de pourpre et de plumes éclatantes.

     La splendeur, le détachement et l’insolite du spectacle rendent ces naissances si pittoresques que certaines mémoires pourtant scellées s’en régalent encore longtemps.

     Autour de lui, voletaient une multitude de Séraphins, nés de quelques jours, tout petits, bleutés, aux ailes poudrées, étincelant dans la lumière. Mais l’Ange ne se souciait guère de ces essences qui étaient là pour l’accueillir, et voici ce qui le fascinait :

    Non loin de la serre, de l’autre côté à l’écart, au milieu de l’herbe et des pissenlits, se tenait une autre créature, délicate, malingre, débile, un de ces protégés dont la maladresse divine avouerait l’origine hasardeuse si quelque l’observateur aguerri, devinant en lui le bouc émissaire, était tenté de poser la question à son créateur.

     Dans cet Eden étouffant où se côtoyaient la serre et la prairie, la pureté et l’innocence, la pauvre chose tentait de se tenir debout sous l’oeil perplexe de celui qui avait été élu pour être son ange gardien. Or, cette étonnante créature, qui venait de choir sur le sol, se relevait et tentait à nouveau de se redresser, c’était le premier homme ! Dieu avait oublié de joindre la notice.

     Et les Séraphins riaient de la tête déconfite de leur dernier né. L’ange habillé de pourpre et aux ailes éclatantes, leur demanda, découragé :

-Mais qu’est-ce que je vais pouvoir en faire ?

     Survint dans la serre, le chatoiement qui annonçait une nouvelle naissance. Alors que les ailes bleutées et poudrées se tournaient vers l’éclosion imminente, l’Ange attristé fixa de nouveau l’autre côté de la cloison. Soudain un bloc se forma au pied de l’être chétif. Lentement la masse se déplia, semblable au premier qui peinait à se maintenir debout. Alors un événement extraordinaire se produisit : le dernier-né  leva les bras et aida l’autre à se redresser.

-Ohn ça alors ! firent les Séraphins. C’est bien la première fois que cela se produit !

     Se retournant, l’angelot aux ailes pourpres découvrit celui qui venait d’éclore non loin de lui. C’était un ange flamboyant semblable à lui-même. Ce dernier s’approcha et le baisa.

-On est fait pour être ensemble comme ces deux-là ! lui dit-il.

     Tandis qu’il acquiesçait, leurs regards se tournèrent vers les deux êtres débiles. Sur l’herbe, non loin de la serre où les boutons laissaient de si délicats parfums, se tenaient deux êtres fragiles, faits de chair, si blanche dans la prairie ! Leur solitude, leur étrangeté et l’inexplicable attirance qu’ils se manifestaient, rendaient les humains si attachants qu’on pouvait les croire faits d’un amour semblable à ceux de la serre.

     A côté d’Adam, souriait la nouvelle créature, aussi étonnante que lui, blanche, douce, aux formes plus rondes, et à la peau plus lisse. Mais cette dernière ne s’occupait pas de son compagnon, et voici ce qu’elle regardait :

     Au bout du chemin vert, derrière un voile de lumière, au milieu d’odeurs légères, se tenaient deux êtres, aux ailes pourpres, aux plumes éclatantes, magnifiques, deux de ces anges dont son sixième sens lui laissait entrevoir l’existence,  tel un visionnaire devinant une image non encore construite!

     Au milieu des Séraphins bleutés et poudrés, et des fleurs en boutons, à l’intérieur de la serre, les deux Anges gardiens observaient l’étrange compagne que Dieu venait de donner à Adam. Or, cette créature, qui aidait le premier homme à tenir en équilibre, pouvait les voir ! Dieu, par quelque fantaisie, lui avait le don de discerner l’envers des choses !

     Et la femme et les Anges se sourirent avec bienveillance, complices devant l’éternité.

 

----------

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :